19/06/2023

L’artiste belge Hans Op de Beeck à la rencontre des maîtres flamands

Hans Op de Beeck, "Dancer" (détail).


L’artiste belge Hans Op de Beeck s’attache à créer un univers hors du temps, réaliste mais hors du temps. Un univers pétrifié, caractérisé par une couleur très particulière: un gris ultra mat et très doux. Au musée de Flandre à Cassel (Nord), il fait dialoguer ses oeuvres avec les tableaux des maîtres anciens. Sa palette monochrome se confronte et parfois se heurte aux couleurs chatoyantes des artistes flamands des16e et 17e siècles. Que ses oeuvres soient en lien ou en opposition avec celles du musée de Cassel, le dialogue est instructif: la filiation paraît évidente. La Flandre d’hier et celle d’aujourd’hui se rencontrent autour des mêmes thématiques: paysages sublimés, natures mortes et vanités, art du portrait, registre satirique, cabinet de curiosités, le monde à l’envers...


« Les artistes flamands continuent aujourd’hui à explorer les mêmes sujets que par le passé », souligne Cécile Laffon, la directrice du musée de Cassel. C’est le cas de Hans Op de Beeck, l’artiste bruxellois qui est invité à exposer  dans les galeries du monde entier. « Son oeuvre, à la fois mélancolique et poétique, se prête totalement à notre projet car elle fait parfaitement écho à la collection permanente du musée. »



Hans Op de Beeck au musée de Flandre à Cassel.


Hans Op de Beeck s’interroge avec constance sur notre rapport au temps et à l’espace. « Mes oeuvres, dit-il, sont une représentation calme, immobile et silencieuse du monde qui nous entoure. » Ce sont des instants de vie figés dans le temps, des oeuvres qui apparaissent comme une version condensée de notre univers.


Ainsi cette fascinante danseuse brésilienne du Carnaval de Rio, représentée les yeux clos et le corps abandonné, une cigarette à la main, lors d’un moment de pause. Cette sculpture tranche avec la scène haute en couleurs d’un autre carnaval, celui du Cassel, qui transforme cette petite ville de la Flandre française deux fois par an.


Hans Op de Beeck, "Dancer", 2019.

Alexis Bafcop, "Le Carnaval de Cassel", 1876.


En face d’un tableau évoquant les aventures héroïques et joyeuses de Tyl l’Espiègle, le saltimbanque malicieux et farceur, épris de liberté, personnage emblématique de la Belgique, Op de Beeck  a placé une fillette endormie, plongée dans son rêve, trois libellules virevoltant au-dessus de son visage. Jeu de correspondances inattendu, qui nous plonge dans une sorte d’intemporalité.


Hans Op de Beeck, "Girl, asleep", 2021.

Nicolas Eekman, "Espiègleries ou Tel et son monde", 1972.



Cette exploration du monde du rêve, on le retrouve dans un ensemble de quatre portraits photographiques que l’artiste belge a réalisés à Manhattan en visitant une école primaire. Il a demandé aux enfants de fermer les yeux puis de s’imaginer dans la peau d’une autre personne. Enigmatiques et mystérieux, ces visages d’enfants new yorkais font écho à une peinture d’un anonyme de 1610 représentant un enfant de la noblesse en tenue d’apparat. Luxe et magnificence. Le contraste est saisissant.


Hans Op de Beeck, "Determination (New York Kids), 2003.

Ecole flamande, "Tête d'enfant", vers 1610.



On retrouve la candeur de l’enfance dans deux sculptures grandeur nature: Timo, les yeux clos, joue aux billes. Tatiana, elle aussi, ferme les yeux et sa bulle de savon reste figée pour l’éternité. Le temps est suspendu. Ce qui n’empêche pas son voisin, le Schijtmanneke, tout droit sorti d’un tableau de Bruegel l’Ancien, de déféquer en riant, en se moquant de tout le monde et en rappelant à sa manière la relativité de notre existence.


Hans Op de Beeck, "Timo (marbles)", 2018.

Hans Op de Beeck, "Tatiana (soap bubble)", 2018.

Ecole flamande, "Het Schijtmanneke", 18e siècle.



Dans Snow Landscape, Op de Beeck nous convie une nouvelle fois à la rêverie et à la contemplation. Aucune trace d’être humain ou d’animal dans cette aquarelle grand format, tout en nuances de gris. En face, le musée propose un tableau réalisé au 17e siècle par le maître flamand des paysages d’hiver, Gysbrecht Leytens. La filiation est frappante. A quatre siècles de distance, les deux paysages enneigés vibrent à l’unisson.



Hans Op de Beeck, "Snow Landscape (streamiest and road), 2019.


Gysbrecht Leytens, "Paysage d'hiver", 17e siècle.


La Vanité est un genre pictural qui a atteint son acmé au 17e siècle en Hollande et dans les Flandres. Crânes, chandelles qui se consument, papillons, fruits périssables sont des symboles de la brièveté de la vie et du temps qui passe. Vanité des vanités, tout est vanité. Et souviens-toi que tu mourras. Avec Vanitas XL, Op de Beeck s’inscrit parfaitement dans la lignée de ses anciens. 


Hans Op de Beeck, "Vanitas XL", 2021.

 Jan Davidszoon de Heem, "Nature morte au pichet", 17e siècle.


Face à une immense peinture d’histoire représentant les Casselois dans le marais de Saint-Omer se rendant au duc de Bourgogne venu mater leur rébellion, Hans Op de Beeck a installé la sculpture grandeur nature d’un homme à cheval, impénétrable et errant. Un petit singe est assis sur son épaule et tient une ombrelle. Sur la selle de son cheval, le cavalier a rassemblé tout son trésor, des flacons, une trompette, un trousseau de clés, des boules de Noël, des objets qu’il garde précieusement et qui lui donnent « le sentiment de garder le contrôle ». The Horseman représente « le voyageur solitaire qui traverse les siècles ». C’est aussi, selon son auteur, la figure du migrant que l’on croise sur les routes « à la recherche d’une vie meilleure ». Comme tous les autres personnages imaginés par le Bruxelois, il est traité avec réalisme dans des nuances de gris, comme s’il était lapidifié. Le gris est bien la signature de cet artiste extraordinaire qui nous incite à réfléchir sur le monde, la condition humaine et la fugacité de la vie.


Bruno SOURDIN.




"The Horseman", 2020. A l'arrière plan, "Les Casselois dans le marais de Saint-Omer", 1887.




Exposition Hans Op de Beeck, « Silence et résonance », musée de Flandre, Cassel. Jusqu’au 3 septembre 2023.