24/10/2024

Les anges de Zéno sont récidivistes

Zéno Bianu                                                                                               DR


A la fois soulèvement vers la lumière et enracinement primordial, la poésie de Zéno Bianu est unique, incomparable, d’une rare amplitude. C’est une poésie verticale. Résolument verticale.


Les grands poètes nous apprennent à regarder, à nous éblouir et, plus que tout, à vivre avec ferveur, à tout accueillir et aimer:

« vivre

chaque instant

en mourant sa vie

en vivant sa mort ».







Le nouveau livre de Zéno Bianu, « Les Anges récidivistes », est plus que jamais dédié aux vivants de la vraie vie:

« un excès de vie

un surcroît d’amour 

le feu la fougue ».


Avec obstination, comme il a pris l’habitude de le faire dans tous ses livres, il revisite les grands éclaireurs qui l’ont inspiré: Rimbaud, Borges, Luis Mizon, Paul Celan, Arthur Cravan (« qui nous dit que la vie est un terrain de jeu illimité »), Kerouac et son rouleau originel, les cent vingt-cinq mille mots  de « Sur la route », tapés à la machine sans ponctuation:

« un seul paragraphe 

à la vitesse de la

vraie vie

crépitant

dans la lumière survoltée ».


Avec René Daumal, on s’éveille, on s’extrait « de la gangue qui nous tient captifs », on recommence l’ascension du mont Analogue. « Pour Daumal, alpiniste mystique s’il en fût, la vie s’éprouve toujours comme une narcisse des hauteurs. »


En souvenir d’Yves Klein, on s’immerge dans le bleu profond, on s’élance, on dépasse la pesanteur et on se met à nu. Etre complètement soi. « Enfin soi, encore et encore. Vraiment soi en sa pleine exactitude. Avec zèle, en ardeur intrépide. »


Avec les litanies étourdissantes de Coltrane ou de Chet Baker, avec l’élégance absolue de Miles ou les pulsions d’Elvin Jones,  on éprouve d’un coup « tout l’octave du monde » :

« Jazz

retour d’anges

au passage du déluge 

La musique troue les coeurs

épicentres

aux

atomes imprévus ».


De la poésie indienne, dont il est un grand familier, il invoque la figure originale de Ayyappa Paniker, le poète-innovateur du Kerala, dont il met en évidence la formule magique: « Emplissez l’esprit d’hymnes au feu ». Et Bianu entonne les premières notes de son propre chant: « Sous nos yeux aimantés un éclaireur prend les devants, résolument vertical, capable à tout moment d’entrer en fusion.

Il continue de rêver plus fort, plus haut, plus juste.

Il vient nous offrir son anarchie divine.

Il persiste. »


De ses voyages en Orient, Zéno Bianu a ramené de multiples trésors: la parole essentielle des poètes indiens (des Védas aux figures singulières de l’Inde d’aujourd’hui); les plus grands poètes chinois, poètes de l’éveil; les chants d’amour du VIe dalaï-lama; et bien sûr les haikus du Japon, « une approche frémissante du monde », qu’il a entrepris de traduire avec Corinne Atlan, dans deux anthologies pour Poésie/Gallimard qui ont fait date. Dans son dernier livre, il revient sur l’art si subtil de Kobayashi Issa, qui l’a toujours émerveillé. « Oui, cet homme-là sait, me semble-t-il, ce que vivre veut dire. Il sait que la vie se dévoile bien plus sûrement lorsqu’on ne s’y accroche pas, lorsqu’on la laisse fuser dans son émerveillante banalité. »


Matin de printemps -

mon ombre aussi

déborde de vie ! 


Dans la rosée blanche

je m’exerce

au paradis


Ce trou parfait 

que je fais en pissant

dans la neige à ma porte !


Merveilleux Issa, qui envisage le haïku comme un exercice spirituel mais qui ne cesse de nous dire que l’univers est aussi une comédie et qu’il convient de percevoir, au plus vif, sa légèreté et « son sérieux non-sens ». Folle sagesse.


Bruno SOURDIN.



Zéno Bianu, Les Anges récidivistes, Gallimard, 2023.

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