17/01/2015

Incarnations


Mère ô douce mère je ne veux pas mourir encore
Les chevaux ont des visages inconnus
Le volcan avale ses fils
Et la poésie parle dans ton ventre
Des bourrasques et du fouet
Du bruit et de l’étincelle
Du mai indigné de ta prison
Et de la voix ensoleillée des abeilles
O muscles ô gifles
O vertèbres brisées de la mémoire
Les momies s’installent pour la nuit
Asseyons-nous pour le rêve

Mère ô douce mère je ne me souviens plus du jour où le monde a commencé
L’homme-oiseau mendie sous les bombes
Les danseurs s’évanouissent sur l’épaule des dieux
Et la poésie parle dans ton ventre
De la foudre et des visions
Du serpent et du sacrifice
De l’eau sépulcrale de tes morts
Et des sanglots d’été de la grand-route
O blés ô soleils
O héros insultés de la frontière
Les lions s’agenouillent dans le désert
Asseyons-nous pour le rêve

Mère ô douce mère j’ai oublié les clameurs et les cadavres
Le jeune lion se déguise en lézard
L’ange du crépuscule s’anéantit
Et la poésie parle dans ton ventre
De l’exil et des étoiles
Du chaos et des prières
Des chants furieux de ton labyrinthe
Et des entrailles secrètes de la terre
O déluges ô émeutes
O funérailles somnambules de la douleur
Les fils du soleil gémissent en cage
Asseyons-nous pour le rêve

Mère ô douce mère je danse avec les chevaux du vent
Les vagabonds se jettent dans les nuages
La ville fume ses morts
Et la poésie parle dans ton ventre
Des bûchers et des rires
Des cendres et de l’air
De l’herbe des galops inouïs
Et de la splendeur des promenades
O langues ô pleurs
O cercueils écumeux du sommeil
Les anges s’arrachent les yeux
Asseyons-nous pour le rêve

Mère ô douce mère la vie est un effarant mystère
L’homme qui ramasse des os de mulots est venu sur son bateau blanc
La fanfare de l’asile ne peut s’empêcher de pleurer
Et la poésie parle dans ton ventre
Du coyote et de l’arc-en-ciel
De l’étoile et des bulles de savon
De la vision de tes enfants de juillet
Et du goût des chemins de terre
O rumeurs ô parades
O frissons poivrés des départs
Les aveugles s’enterrent après la houle
Asseyons-nous pour le rêve

Mère ô douce mère rien ne sera jamais expliqué
Les bras de la nuit enlacent le silence
Le batelier des morts tend sa voile
Et la poésie parle dans ton ventre
Des barques et des tambours
Des fifres et des cortèges
Des pas effacés sur le sable
Et du vent glissant au sort des routes
O fracas ô tourmentes
O saisons insensées du ciel électrique
Les lèvres ânonnent ta douleur millénaire
Asseyons-nous pour le rêve


BS



Polder 78, couverture de Sylvie Bozec


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